Les maitres de la photographie
Biographie
Gordon Parks – Le choix des armes
Né le 30 novembre 1912 à Fort Scott, dans le Kansas ségrégationniste,
Gordon Parks a marqué son époque en documentant la vie américaine des
années 1940 aux années 2000, plongeant son objectif dans les eaux troubles
des relations raciales, de la pauvreté, des droits civiques et de la vie urbaine.
La genèse
Né le 30 novembre 1912 à Fort Scott, dans le Kansas ségrégationniste, Gordon Parks a
marqué son époque en documentant la vie américaine des années 1940 aux années 2000,
plongeant son objectif dans les eaux troubles des relations raciales, de la pauvreté, des
droits civiques et de la vie urbaine.
Issu d’un milieu pauvre et rural, il est le benjamin d’une fratrie de quinze enfants. Lorsque
sa mère décède, en 1928, dégouté par le racisme et la violence qui règne dans sa ville, il
quitte le Kansas pour Saint- Paul, dans le Minnesota, où l’une de ses sœurs vit avec son
mari.
Mais Gordon ne s’entend pas avec son beau-frère et se retrouve à la rue, sans le sou. Il
enchaîne alors les petits boulots, pianiste de maison-close, porteur de valise, garçon de
café, contrôleur de bus, et même employé au « Gentlemen’s Club de Minneapolis », un
club de riches blancs où il profitera de la bibliothèque pour parfaire son instruction.
A 25 ans, alors qu’il travaille comme serveur à bord des trains de la « North Coast Limited »
il lui arrive de récupérer des magazines oubliés sur les banquettes par les passagers. C’est
dans un de ces magazines qu’il tombe sur des photographies de travailleurs migrants
cherchant désespérément un emploi en pleine récession. Il est stupéfait par la puissance
qui se dégage de ces images prises par le photographe Arthur Rothstein.
« J’ai vu qu’un appareil-photo pouvait être une arme contre la pauvreté, contre le racisme, contre toute sorte de mal sociétal. A ce moment précis, j’ai compris qu’il me fallait un appareil-photo », dira-t-il plus tard.
Il achète donc son premier appareil, un Voigtländer Brillant, chez un prêteur sur gage pour 7,50€. Lorsqu’il fait développer ses premiers rouleaux de pellicule, les employés du labo sont tellement admiratifs de ses clichés qu’ils lui filent des tuyaux pour se lancer comme photographe de mode auprès d’un magasin local ;
Documenter l’Amérique
Autodidacte passionné, dès le début des années 1940, il commence à travailler pour Life Magazine, avec un reportage sur la ségrégation raciale dans une école pour enfants noirs à Washington, D.C. Il est le premier photographe afro-américain à publier dans le magazine.
Sa capacité à capturer des images puissantes et son engagement envers des histoires significatives font de lui l’un des photographes les plus influents de sa génération. Il décroche d’ailleurs, en 1942, une bourse de la Julius Rosenwald Fund, une organisation philanthropique qui soutient les artistes et les intellectuels afro-américains. Cette bourse attire l’attention de Roy Stryker, qui dirige le projet photographique de la Farm Security Administration qui a pour mission de documenter la vie rurale américaine pendant la Grande Dépression.
Stryker engage donc Gordon Parks et ce, pour quatre raisons majeures :
Son Talent Artistique : Parks a déjà une réputation de photographe talentueux que la bourse Rosenwald ne fait que confirmer. Son style unique et sa capacité à capturer des images puissantes sont des atouts précieux pour le projet documentaire de la FSA.
Sa Perspective Personnelle : En tant qu’Afro-Américain, Gordon Parks apporte une perspective personnelle unique aux projets de la FSA. Stryker reconnaît l’importance d’inclure diverses voix et expériences dans la documentation photographique de l’époque.
Son Engagement Social : Parks partage l’engagement social de Stryker et de la FSA, qui vise à documenter les réalités sociales et économiques de l’Amérique après le Krach de 1929. Son travail reflète un intérêt profond pour les problèmes sociaux et les inégalités raciales.
Son Expérience de Vie : Les expériences de vie de Parks, y compris son enfance difficile dans le Midwest, ont renforcé sa capacité à se connecter avec les sujets du projet de la FSA et à raconter des histoires visuelles captivantes.
Lorsqu’il photographie des personnes, Gordon estime qu’il est important de créer une connexion personnelle avec ses sujets avant de les photographier. Un exemple parmi d’autre de cette approche est sa rencontre avec Ella Watson, une femme de ménage travaillant à la FSA, qu’il photographie dans une série d’images intitulée « American Gothic ». Avant de prendre les photos, Parks passe du temps à apprendre, à connaître Ella Watson, à comprendre sa vie et son point de vue. C’est cette approche qui va lui permettre de capturer des images authentiques et nuancées, en reflétant la véritable essence de ses sujets. Des images qui portent une profondeur émotionnelle et sociale.
De l’OWI à Life – Un Regard sur l’Injustice
La Seconde Guerre mondiale apporte de nouveaux défis et de nouvelles priorités, et le gouvernement américain mobilise des talents artistiques tels que Parks pour documenter la vie des Américains pendant la guerre et pour produire des images destinées à soutenir l’effort de guerre. C’est ainsi que dès 1943, il intègre l’Office of War Information (OWI).
Au cours de cette mission, Gordon passe plusieurs semaines à Selfridge Fields, dans le Michigan, où s’entraînent les Tuskegee Airmen, les célèbres pilotes de chasse afro-américains. Il doit ensuite les accompagner en Europe afin de les photographier lors des combats aériens. Cependant, à quelques jours de son départ, son accréditation lui est retirée car des sénateurs sudistes, qui ne souhaitent pas voir les actions de soldats noirs glorifiées dans la presse, font pression pour que le jeune photographe ne puisse documenter leurs exploits.
Ces pressions politiques témoignent des tensions raciales et des discriminations systémiques qui existaient à l’époque.
Cette mission avortée met un terme à la collaboration entre Parks et les agences gouvernementales américaines.
En tant qu’artiste engagé, il aspire à une plus grande autonomie créative et à la liberté de choisir ses sujets. Son approche personnelle de la photographie documentaire va au-delà des simples images de propagande pour refléter la réalité sociale et culturelle de l’époque.
En 1944, il intègre Vogue où il est, à nouveau, le premier photographe noir puis, il rejoint le staff de Life magazine avec un reportage sur un Gang de jeunes délinquants de Harlem et leur chef Red Jackson. C’est là que son talent prend toute son envergure. Ses reportages sur la ségrégation raciale et les inégalités aux États-Unis font de lui une voix puissante contre l’injustice. « American Gothic » et « Emerging Man » sont des icônes qui transcendent leur époque.
L’homme-orchestre
Parks n’est pas seulement un photographe. Son récit partiellement autobiographique « The Learning Tree » (« Les sentiers de la violence »), publiée en 1963, témoigne de ses talents d’écrivain, qu’il confirmera avec plusieurs autres ouvrages par la suite.
Egalement, compositeur et cinéaste, il devient, en 1969, le premier Afro-Américain à écrire, réaliser et composer la musique d’un film à Hollywood avec l’adaptation de son roman « The Learning Tree »
En 1971, son film « Shaft » (« Les Nuits rouges de Harlem »), l’impose définitivement comme un réalisateur de renom, brisant les barrières pour les cinéastes noirs. Le film connait un succès critique et commercial, inspirant la vogue des films de « Blaxploitation » où des stars noires endossent un rôle de premier plan valorisant les afro-américains et non plus celui de faire-valoir ou de béni-oui-oui.
Gordon Parks, tire sa révérence, le 7 mars 2006, à New York. Il a 93 ans. Jusqu’à sa mort, il demeure un artiste en constante évolution. Plus de cinquante doctorats honorifiques attestent de son impact. Ses archives sont conservées dans des institutions prestigieuses comme la Bibliothèque du Congrès à Washington D.C., honorant un homme dont l’appareil-photo était une arme contre l’injustice sociale, et l’art, un cri pour la justice.
Gordon Parks en un clin d’oeil
Ecrivain, poète, musicien, réalisateur, activiste, etc., Gordon Parks est avant tout un photographe de génie doté d’une grande sensibilité et d’une profonde humanité. Les quelques clichés présentés dans la galerie ci-après n’ont pas la prétention d’être un résumé fidèle de son oeuvre mais ils donnent une idée de la puissance de ses images.